mercredi 21 février 2018

Ganga, du polar à l'au-delà, du Gers à Bali

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Lucie Brasseur – Que les lecteurs de "Ganga" soient avertis: l'intrigue les fera voyager sur deux continents et faire le grand écart entre la France profonde, représentée par Auch, dans le Gers, l'Indonésie et le sous-continent indien. C'est ce décor ambitieux que l'écrivaine Lucie Brasseur a choisi pour son deuxième roman, à la fois résolument exotique et ancré dans un certain terroir français profond.


C'est à travers le personnage de Marc Delvingt que le lecteur découvre progressivement les tenants et aboutissants d'une intrigue aux allures de thriller. Marc Delvingt, avec tous ses défauts de jeunesse et son caractère d'artiste contrarié, s'avère attachant: on le voit voyager, diriger plutôt mal que bien l'entreprise familiale, et dévoiler peu à peu, ma foi, sa face d'ombre. Cela, à partir d'un point de départ impeccable en apparence: la confiserie familiale Delvingt est au bord de la faillite, et il faut s'ouvrir à l'international.

Mais soudain, les cadavres s'entassent autour de Marc Delvingt, et la police, vraie ou fausse, s'intéresse à ce qui se passe. Marc Delvingt devient un suspect: est-il vraiment le gendre idéal? L'écrivaine creuse la personnalité de ce personnage, lui prêtant une vie conjugale morne, et dessine avec finesse un personnage tiraillé entre une vocation de poète ou d'écrivain voyageur et la facilité que représente l'option de la reprise de l'entreprise familiale, défendue par son père Pierre. Un père au verbe haut (on traque ses répliques avec gourmandise...) qui considère que son fils est un vaurien, mais qui, poussé par les circonstances, va se rapprocher de lui.

Autour d'eux, se dessine une intrigue policière étrange, conduite par une équipe locale rapidement mise sur la touche, doublée par ailleurs par une brigade non identifiée qui pourrait bien être criminelle. Reste qu'avec leurs propres moyens, les policiers d'Auch mènent l'enquête, qui va les mener jusqu'en Asie.

Le lecteur va voyager, ai-je annoncé. Pour ce faire, l'auteure n'hésite pas à jouer la couleur locale au besoin. On découvre ainsi quelques lieux notables d'Auch, cités sur un ton de connivence: l'auteure semble parler à ceux qui connaissent; on aimera le "Adishatz" en page 11, qui signifie "Adieu" et que Louise Noëlle Lavolle orthographiait naguère "Adichats" dans "L'Etang perdu", ou les "pousterles", ruelles médiévales typiques du Gers. Elle se fait encore plus démonstrative lorsqu'elle parle de l'Inde ou de l'Indonésie, n'hésitant pas à faire usage des termes locaux précis pour dire des réalités lointaines, vêtements ou édifices, et souligner une couleur locale.

Reste que l'actualité, telle que le monde la connaît, prend aussi place dans "Ganga", au travers d'événements terroristes ayant eu lieu à Bali. C'est sur cette base que la romancière construit l'élément le plus mystérieux de son roman, mystérieux parce qu'il touche au sacré et à l'ésotérisme. Certains aspects apparaissent ainsi évidents pour des personnages mis en scène en Indonésie, baignant dans une culture qui prend en compte l'au-delà et les esprits, mais échappent aux personnages français, cartésiens, qui s'y confrontent – la vision du charnier de Kalikut, vu comme un lieu à éviter, hanté peut-être, en est un bel exemple. Esotérisme, ai-je dit: cet élément traverse "Ganga", peu ou prou, quitte à servir de solution surnaturelle à certains éléments de l'intrigue policière. Il sera donc question d'un village protégé par les dieux, de conjonction des planètes, et même de svastikas: celles-ci sont-elles des croix gammées nazies ou le symbole usuel d'une religion lointaine?

On l'a compris: "Ganga" est un roman riche qui regarde vers l'au-delà. Parfois, il s'avère un peu lent, désireux qu'il est de tout expliquer, au besoin en juxtaposant des synonymes ou en abusant de phrases longes. Le lecteur retiendra de ce livre les ambiances en demi-teinte que permet la possibilité que l'auteure se donne de faire intervenir le sacré, qu'il soit chrétien, hindou ou tout autre. Il en retiendra aussi le portrait remarquable du personnage de Marc Delvingt qui, sous ses airs de garçon velléitaire rentré dans le rang, traîne un passé sentimental surprenant et d'étonnantes casseroles que "Ganga" révèle peu à peu. Ainsi se fissure la belle devanture d'une confiserie de province...

Lucie Brasseur, Ganga, Lectoure, Yakabooks, 2016.

Le site de Lucie Brasseur, celui des éditions Yakabooks. Lu en partenariat avec Simplement.Pro.


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